Saint-exupéry vint me voir au Centre d'instruction de bombardement que je commandais. (...)
        Le pilote était accablé. Un concile de médecins avait ausculté, palpé, soumis à des acrobaties en chambre saugrenues, ce virtuose, ce maître du ciel, riche de milliers d'heures de vol, et l'avait déclaré inapte. Il était désespéré. Je le consolai, cachant pourtant une inquiétude réelle... Cette défense du grand pilote fut vraiment pénible...

        Je rappelai à Paris que ce qui compte, en aviation, ce n'est pas le coeur physique, mais le coeur tout court et qu'il était absurde d'exiger d'un aviateur le canon du chasseur alpin. Je rappelai Guynemer, cette flamme, le borgne Willy Post, qui venait de faire le tour de la terre en un temps inouï, le professeur Picard, monté le premier dans la stratosphère et à qui les sommités médicales de Paris, de Berlin ou de Londres avaient interdit "même la Tour Eiffel", parce qu'il ne satisfaisait pas à telle formule où le tour de poitrine se trouvait divisé par la hauteur du corps, et multiplié par une constante arbitraire.

        Enfin, en dépit d'une bureaucratie médicale qui eut mis en joie Molière, Saint-Exupéry fut maintenu navigant. Mais il voulait le "Front", se battre autrement qu'avec des règlements, fuir la mesquinerie des paperassiers de l'arrière. Par chance et aussi grace à son grand nom de pilote de ligne que, tout de même, le Commandement de l'Air de Paris connaissait, on lui accorda cette grâce, comme on l'avait accordée à d'autres, qui ne la désiraient pas tous, d'ailleurs, pour tenter le même destin. Il entra à son escadrille de grande reconnaissance comme les jeunes chevaliers d'autrefois entraient en veillée d'armes.